Octobre 2022 – Un trimestre à oublier

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Par

Sabahudin Softic

Fondé de pouvoir | Conseiller institutionnel

Après une première moitié d’année déjà difficile, tout semble être allé dans le mauvais sens durant ce 3ème trimestre, et cela s’est traduit par une baisse globale de l’ensemble des actifs financiers.

C’est ainsi que les marchés actions ont dévissé de 3,78% (MSCI All Countries World Index, en CHF) et les matières premières de 4,03% (Rogers International Commodity Index, en CHF). Les traditionnelles valeurs refuges n’ont, quant à elles, pas offert la protection attendue. En effet, les obligations internationales ont également nettement chuté avec une performance de -5,02% (FTSE World Government Bond Index, en CHF), suivi de près par l’or, en baisse de 5,09% (LBMA Gold Price, en CHF) sur le trimestre.

Crise des banques centrales

Le concert des mauvaises nouvelles est en premier lieu venu des banques centrales. En effet, la plupart des principaux Instituts monétaires ont eu des réunions officielles, débouchant sur des décisions de politiques monétaires, en grande partie concentrées sur le mois de septembre. C’est la banque centrale européenne (BCE) qui a ouvert le bal, début septembre, en annonçant une hausse de son taux directeur, qui est passé de 0,75% à 1,25%. Durant la conférence de presse qui a suivi cette réunion, Madame Christine Lagarde, présidente de la BCE, a admis s’être trompée quant à la gravité du problème inflationniste, qui n’a cessé de monter ces derniers mois, malgré le déni initial des banquiers centraux.

Madame Lagarde s’est tout de même empressée de mentionner les excuses habituelles ayant conduit à cela : C’est la faute à Poutine, c’est le Covid, etc. Bien sûr que les sanctions et contre sanctions économiques entre l’Occident et la Russie, suite au déclenchement des opérations militaires russes en Ukraine, ont eu un impact sur l’inflation. Bien sûr que les gels successifs de l’activité économique ont également eu un impact sur les hausses des prix de ces derniers mois, même si cela commence désormais à s’essouffler puisque les chaines de productions commencent à revenir à la normale. Mais la principale cause du problème inflationniste, que Madame La-garde n’a pas mentionné, vient du laxisme monétaire des banques centrales, qui ont trop tardé à resserrer leurs poli-tiques monétaires lorsque les hausses des prix ont commencé à se matérialiser en début d’année 2021 déjà.

D’autres banques centrales ont tour à tour annoncé leurs décisions respectives dans la deuxième moitié de septembre. La Réserve fédérale américaine (FED) a ainsi annoncé une hausse du taux directeur de 0,75%, la Banque d’Angleterre (BOE) de 0,50% et la Banque Nationale suisse (BNS) de 0,75%. Seule la Banque centrale du Japon (BOJ) a décidé de ne toujours pas commencer de resserrement monétaire, en maintenant son taux directeur à 0,25%. Ce laxisme de la part de la BOJ se traduit d’ailleurs dans l’évolution du Yen, qui est en déclin de plus de 20% face au dollar américain depuis le début de l’année.

En conclusion, mis à part pour la BOJ, le message des banques centrales a globalement été très homogène, à savoir que la lutte contre l’inflation est la priorité absolue. Pour cela, il faut resserrer les conditions monétaires même au prix d’un sacrifice temporaire de l’économie et des marchés financiers. Laisser l’inflation s’installer durablement serait un problème bien plus grave. Malgré un déni de la plupart des analystes depuis plusieurs mois, la FED notamment semble bel et bien décidée à continuer le resserrement monétaire de manière agressive pour tuer l’inflation. Depuis plusieurs mois, Jérôme Powell et d’autres membres de la FED étaient pourtant très clairs et fermes dans leurs discours. Il est probable que sans ralentissement net de l’inflation ou alors d’impact majeur sur l’économie et les marchés financiers, la FED devrait continuer sur sa politique agressive de resserrement monétaire.

Dans ce sens, un premier signal est venu de la BOE en toute fin du mois de septembre. En effet, lors de sa séance ordinaire du 22 septembre, l’Institut monétaire avait, dans un premier temps, annoncé la fin prochaine de son programme d’assouplissement quantitatif, en plus de la hausse immédiate du taux directeur de 0,50%. Cependant, dans les jours qui ont suivi, suite à des hausses rapides des taux obligataires britanniques, accompagnée d’une violente chute de la livre, la banque centrale a annoncé une reprise immédiate de ces achats de dettes étatiques pour empêcher la hausse incontrôlée des taux longs.

Le mouvement de panique sur la livre sterling est en partie venu des décisions politiques de la nouvelle première ministre, Madame Liz Truss. En effet, cette dernière a annoncé un budget britannique largement déficitaire, composé de baisses d’impôts pour les ménages les plus aisés (mesure qui a finalement été revue début octobre), couplé à des subventions sur les factures énergétiques des Britanniques suite aux hausses massives des prix de ces derniers mois. À l’instar du gouvernement de Madame Liz Truss, la plupart des autres États n’ont pas suivi leurs banques centrales dans la lutte contre l’inflation. C’est-à-dire que les divers budgets étatiques continuent à être déficitaires et donc inflationnistes.

La réaction de la Banque d’Angleterre nous donne peut-être un avant-goût de ce que les autres banques centrales vont faire prochainement si elles sont confrontées à une telle problématique, et ce même si l’inflation n’est pas encore sous contrôle. À savoir, reprendre leurs politiques monétaires laxistes des dernières années, sous une forme ou une autre. Si cela arrive, il faudra donc peut-être vivre avec une inflation plus élevée, pour plus longtemps, afin d’empêcher une déstabilisation du système financier.

Crise géopolitique

Le conflit en Ukraine continue à faire rage et la situation s’est globalement dégradée, avec une nouvelle hausse des tensions. Aucune des parties au conflit ne semble résolue à lâcher du terrain.

Les flots d’armes vers l’Ukraine, et autres aides de la part des pays de l’OTAN, ont continué à s’intensifier. Si bien que les forces ukrainiennes ont réussi à reprendre du terrain. Suite à cela, la Russie a annoncé une mobilisation militaire partielle, avec pour objectif d’engager 300’000 soldats, sur les 25 mil-lions de potentiels conscrits qu’elle pourrait théoriquement enrôler, afin d’intensifier ses opérations. Pour comparaison, il est estimé que jusqu’à présent le nombre total des forces russes présentes en Ukraine était d’environ 150’000. Parallèlement à cela, la Russie a organisé des référendums d’adhésions dans 4 régions ukrainiennes qu’elle contrôle en majeure partie. Suite aux résultats de ces référendums, les autorités russes ont annoncé que ces régions faisaient désormais partie la Fédération de Russie. Il va sans dire qu’à ce stade, presque aucun pays n’a reconnu ces adhésions controversées.

On constate donc que les fronts se durcissent et une résolution pacifique tant attendue semble de plus en plus s’éloigner. La situation étant cependant dommageable à toutes les parties au conflit, et pas uniquement aux belligérants directs, on n’est pas à l’abri d’une bonne surprise qui viendrait détendre la si-tuation. Par exemple, si l’une ou l’autre des parties impliquées venait à reconsidérer ses exigences pour permettre une issue négociée, qui actuellement amène un coût considérable au continent européen dans son ensemble.

Crise énergétique

Pour le moment, la confrontation en Ukraine continue à avoir relativement peu d’impact d’un point de vue économique global. En effet, la tendance de hausse des prix de l’énergie, qui est souvent attribuée au conflit, était en fait déjà en cours de-puis fin 2020. Il y a eu une accélération de la hausse qui avait fait sortir, par le haut, les prix de l’énergie de leur tendance long terme, dans les jours qui ont suivi le début des hostilités, fin février 2022, mais les cours sont ensuite revenus sur leur tendance haussière normale.
Ce sont en fait surtout les prix du gaz qui restent très largement au-dessus de leur moyenne de ces dernières années, non pas en raison du conflit en tant que tel, mais en raison des sanctions imposées par les États-Unis et l’Europe à la Russie. En raison de ces sanctions, et des contre-sanctions russes, les prix du gaz sont montés sur les marchés mondiaux, mais c’est l’Europe qui en souffre le plus.

Malgré les déclarations politiques, les pays européens continuent d’essayer d’importer du gaz et du pétrole russe, tout en maintenant les sanctions économiques. C’est une situation plutôt étrange. Pour l’anecdote, actuellement la Chine exporte du gaz à l’Europe par méthanier. Or, la Chine n’est en principe pas un exportateur de gaz. En réalité, c’est du gaz russe importé par la Chine qui est ensuite réexporté aux pays européens à un prix supérieur. Il y a aussi le cas de l’Arabie-Saoudite, plus grand exportateur mondial de pétrole, qui importe du pétrole russe pour sa propre consommation, à prix préférentiel, et exporte la partie de sa propre production, jusqu’ici utilisée en interne, à des pays européens.

Des stratégies similaires sont employées pour importer d’autres types de matières premières russes dont l’Europe a besoin. La Russie n’exporte donc pas nécessairement beau-coup moins de matières premières qu’auparavant, mais les stratégies employées pour contourner les sanctions renchéris-sent certains prix, plus que de raison, pour le consommateur final.

Pour ne rien arranger à la situation, fin septembre, les gazoducs Nord Stream 1 et 2, construits pour acheminer le gaz russe directement vers l’Allemagne, ont été endommagés par ce qui semble être de violentes explosions. Tout porte à croire qu’il s’agit d’un acte délibéré perpétré par un acteur étatique, mais aucune preuve d’à qui en incombe la responsabilité n’a pour le moment été apportée.

Cependant, le flux de gaz était à l’arrêt depuis quelque temps déjà, en raison des sanctions et contre-sanctions, bien que les tuyaux étaient remplis au moment du sabotage et n’a donc pas eu d’impact de court terme sur le marché du gaz européen. En revanche, cela repousse la possibilité d’une potentielle ouverture prochaine du gazoduc quelle que soit l’évolution du conflit Russie-Ukraine et les sanctions et contre-sanctions économiques qui en découlent, car le calendrier des éventuelles réparations est à ce jour inconnu.

Conclusions

Au vu de l’ampleur des éléments négatifs relevés, on peut dire que les marchés ont encore relativement bien résisté. Et après trois trimestres négatifs, on peut peut-être commencer à espérer un début de stabilisation, sans encore nécessairement parler de retour à la normale.

Le principal sujet d’inquiétude pour l’économie et les marchés financiers reste l’inflation et la détermination des banques centrales à la combattre. Ces dernières, en premier lieu la FED, sont actuellement engagées dans des resserrements monétaires agressifs afin de juguler des niveaux d’inflation au plus hauts de plusieurs décennies.
Ces resserrements monétaires provoquent une détérioration des indicateurs économiques, ainsi que des marchés financiers. Bien que, pour le moment, le marché de l’emploi continue à se montrer résilient dans la plupart des régions du Monde.

La FED et la plupart des autres banques centrales ont clairement exprimé leur intention de poursuivre leur resserrement monétaire jusqu’à ce que l’inflation soit maitrisée, même si cela a pour effet de ralentir l’activité économique et négative-ment impacter les marchés financiers. Ces derniers devraient donc rester sous pression tant que les instituts monétaires n’auront pas signalé un arrêt prochain des resserrements monétaires en cours.

Cependant, il est possible que les banques centrales n’arrivent pas à ramener l’inflation à leur objectif de 2%, avant une dé-gradation trop importante de l’économie et des marchés financiers. Dans ce cas de figure, il faudra s’attendre à des taux d’inflation durablement plus élevés dans les années qui viennent. L’effet collatéral d’un éventuel virage à 180 degrés par les banques centrales pourrait être une reprise des marchés actions avant même une reprise économique plus durable, si tant est qu’elle arrive, mais également une certaine perte de crédibilité des Instituts monétaires.

Les taux d’inflation records atteints actuellement (8,2% aux États-Unis et 10,0% dans la zone euro) vont potentiellement se tasser dans les mois qui viennent, mais devraient tout de même rester élevés sur le long terme. Dans ce contexte, dans une optique de moyen à long terme, le principal risque réside dans les investissements obligataires, principalement dans des gestions appliquant une stratégie proche de l’indice.

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