Mai 2023 – Le ralentissement économique tant attendu est enfin arrivé !

Photo of author

Par

Sabahudin Softic

Fondé de pouvoir | Conseiller institutionnel

Alors que les prix des matières premières sont en baisse depuis plusieurs mois (-3,02% rien que sur avril pour l’indice Rogers Commodity Index, en CHF, source Refinitiv), les taux d’inflation ne semblent, quant à eux, pas baisser aussi rapidement qu’espéré. En revanche, l’économie montre des signes de ralentissements. En effet, la croissance des PIB (produit intérieur brut) européens et américains notamment, sur le 1er trimestre, est ressortie en dessous des attentes.

Lutte contre l’inflation vs stabilité économique

Une baisse nettement plus prononcée de l’inflation est la condition indispensable pour que les différentes banques centrales, Réserve fédérale américaine (FED) en tête, commencent à envisager un ralentissement, voire une fin du resserre-ment monétaire en cours. Pour rappel, la stratégie affichée des banques centrales est de relever les taux directeurs à un niveau suffisamment élevé afin de ralentir l’activité économique en espérant que cela mette fin au renchérissement généralisé des prix.
Le PIB américain sur le 1er trimestre 2023, publié fin avril, est ressorti à un taux de 1,1% annualisé, soit largement en des-sous des attentes des analystes (2%), et en fort ralentissement par rapport au dernier trimestre 2022 (+2,6%). On peut imaginer que, ce qui en temps normal serait considéré comme une mauvaise nouvelle, a dû réjouir les responsables de la

FED puisque cela veut dire que leur volonté de ralentissement de l’économie fonctionne. Le même constat est à faire pour l’Europe, avec le taux de croissance annualisé de la zone euro, aussi publié fin avril, qui est ressorti à 0,4% (légèrement en dessous des attentes).

Le marché s’est globalement réjoui lors de la publication de ces données puisque cela tendrait à vouloir dire que le resserrement monétaire en cours est proche de la fin. Ce d’autant plus que les derniers chiffres concernant l’inflation américaine, publiés en début de mois, sont également ressortis en nette baisse. Avec un taux de 4,98%, la tendance baissière constatée ces derniers mois s’est une nouvelle fois confirmée. L’inflation est certes toujours largement au-dessus de 2%, qui est l’objectif officiel de la FED, mais le fait qu’elle continue de baisser est encourageant.

Comme on a pu le voir durant le mois de mars, avec les dé-buts de crises sur le secteur bancaire, les augmentations successives du loyer de l’argent, couplées aux réductions des bilans des banques centrales (partiellement inversées en mars), mettent de plus en plus de stress sur le secteur financier. Le ralentissement économique en cours, désormais acté, n’étant qu’une conséquence supplémentaire de cette même politique. Le dilemme pour les banques centrales durant les prochains mois va donc être de choisir entre une inflation supérieure à leurs objectifs et un ralentissement économique trop important couplé à une possible poursuite des crises bancaires. Lorsque le stress devient trop important, les banques centrales sont prêtes à réinjecter de l’argent dans le système et ainsi mettre la lutte contre l’inflation, du moins de manière temporaire, au second plan.

Quand la géopolitique s’en mêle

Durant le mois d’avril, des délégations allemandes, françaises et brésiliennes, pour ne citer que les principales, se sont succédées à tour de rôle pour des visites d’État en Chine dont l’influence grandit à mesure que l’influence américaine dans le monde se contracte.

Comme on peut le constater depuis le début du conflit en Ukraine, qui semble avoir agi comme un déclencheur de pro-fonds changements géopolitiques, il y a une sorte de rabatte-ment des cartes au niveau des relations entre les divers pays. Un de ces changements est le rôle toujours plus grand que joue la Chine dans les relations internationales. C’est ainsi que « l’Empire du Milieu » a été un acteur clé dans le récent rapprochement entre l’Arabie-Saoudite et l’Iran, frères ennemis que rien ne semblait pouvoir réconcilier jusque-là.

Pour faire suite à sa visite en Russie le mois précédent, le président chinois Xi Jinping s’est entretenu au téléphone avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky, pour la première fois depuis le début du conflit. Pour rappel, au mois de février la Chine avait rendu publiques des propositions quant à une ré-solution pacifique du conflit russo-ukrainien et semble donc continuer d’avancer dans son plan. Après ses récents succès diplomatiques au Moyen-Orient, la Chine tente de jouer un rôle dans la résolution pacifique de la guerre en cours en Europe.

À la surprise générale, suite à une réunion début avril, l’OPEP (organisation des pays exportateurs de pétrole) a décidé une nouvelle fois de réduire sa production de pétrole d’un million de barils par jour, à compter du mois de mai. En effet, ne supportant plus les baisses de cours de ces derniers mois, l’organisation dirigée de fait par l’Arabie-Saoudite, son plus gros producteur, a une nouvelle fois tenté de prendre les choses en main. Ceci alors même que les États-Unis, dont l’Arabie-Saoudite est historiquement le deuxième principal allié au Moyen-Orient après l’État d’Israël, leur demandent depuis des mois d’augmenter leur production pour faire pression sur les prix et ainsi aider dans la lutte contre l’inflation. Mais rien n’y fait, les Saoudiens semblent avoir un autre agenda en tête et ne sont pas prêts à aider leur allié historique à régler son problème inflationniste.

Si les prix de l’énergie ne sont pas maintenus à un bas niveau, le resserrement monétaire à lui tout seul ne pourra pas régler le problème du renchérissement généralisé même au prix d’un ralentissement économique.

Vivre avec l’inflation

Le renchérissement généralisé des prix ne pourra pas être con-tenu simplement avec la politique monétaire. Ce d’autant plus que si l’économie ralentie, voire se contracte, plus rapidement que l’inflation ne retourne en dessous de l’objectif de 2% qu’ont les principales banques centrales, ces dernières vont probablement devoir se résoudre à revoir leurs objectifs à la hausse.

Ce d’autant plus qu’après plus de deux ans d’inflation élevée, même si c’est loin d’être une situation idéale, l’économie semble globalement s’y être adaptée. En effet, à en juger par les résultats des entreprises publiés ces dernières semaines, les entreprises réussissent pour le moment, sans trop de mal, à transmettre les hausses des prix à leurs clients, qui à leur tour réussissent à obtenir des hausses salariales, bien que partielles, pour y faire face.

En 2021, la perspective d’une inflation à 5% semblait peu réjouissante, en 2023 on a l’impression que finalement ce n’est peut-être pas si terrible…

Une nouvelle fois, du point de vue de l’investisseur, il faudra continuer à se focaliser sur les actifs réels et éviter les placements de taux se situant largement en dessous de l’inflation, comme les obligations de certains États.